Equité : pourquoi la 4e révolution “industrielle” est un sujet majeur – 3

Selon Yuval Noah Harari, professeur d’Histoire auteur du best seller Sapiens, l’Histoire de notre évolution est rythmée par une succession de périodes d’équilibre entrecoupées de périodes de changements rapides. Il y a 500 ans a commencé la révolution scientifique, et avec elle une nouvelle accélération. Depuis, l’Homme a vécu 3 révolutions sociétales ou “industrielles” aux 18e, 19e et 20e siècles. La prochaine, celle du 21e siècle a débuté. Et elle sera différente des trois précédentes. Si la 4e révolution “industrielle” sera bien plus rapide, elle sera également globale et donc plus équitable ques les précédentes.

II. Pourquoi cette 4e révolution « industrielle » sera différente ?

2. Plus étendue : où ?

Les progrès agricoles réalisés au cours des 2 premières révolutions industrielles ont éradiqué la famine en Europe Occidentale ; la dernière remonte à 1840 en Irlande. Pourtant 177 ans après, 795 millions de personnes souffrent toujours de sous nutrition d’après l’Organisation Mondiale de la Santé.

Nous français utilisons l’électricité, technologie du 19e siècle, pour la plupart, sans même y penser. Elle est omniprésente et invisible. Pourtant le monde n’est toujours pas électrifié dans son ensemble.

Malgré l’invention d’Internet il y a presque 50 ans, et la supposée libre circulation de l’information et du savoir que cela devait engendrer, il y a encore 800 millions d’analphabètes.

La prochaine révolution “industrielle”, celle du 21e siècle, pourrait enfin être celle de l’équité.

2.1 Le numérique ou l’effet ketchup de l’horizontalisation du monde

Il y a seulement 10 ans la première vidéo Youtube était mise en ligne. Aujourd’hui plus d’1 milliard de personnes regardent des centaines de millions d’heures de vidéos chaque jour. 300h de vidéos sont mises en ligne sur Youtube toutes les minutes.

Il y a seulement 10 ans Facebook venait d’ouvrir au grand public. Aujourd’hui c’est 1.8 milliards d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde.

Aujourd’hui :

  • Airbnb (moins de 10 ans et évaluée à 20 Mds) et ses 800 employés offre plus de chambres qu’une chaîne d’hôtels comme Hilton et 152 000 employés
  • Uber (fondée en 2009, valorisée à 69 Mds soit plus que General Motors et Twitter réunis) génère 3 fois plus de revenus à San Fransisco que toute l’industrie des taxis et limousines
  • Instagram emploie 20 personnes là où Kodak employait 100 000 personnes pour développer des photos
Copyright Gerd Leonhard

En seulement 3 ans nous avons généré autant de données qu’en 200 000 ans d’Histoire. Et la quantité d’information disponible sur Internet double environ tous les 1,25 ans. Si les 3 premières révolutions industrielles n’ont pas eu lieu dans tous les pays, celle du 21e siècle touchera tous les pays, tous les secteurs. Parce que le monde finit justement de s’interconnecter. Parce que la connaissance, le savoir, et l’intelligence se dématérialisent, se démonétisent, et donc se démocratisent.

Mais la supposée “révolution” numérique n’est que la partie visible de l’iceberg NBIC. Nous ne ressentons en réalité que les remous de l’effet ketchup (vous remuez la bouteille, encore et encore, jusqu’à ce qu’un gros amas de ketchup dégouline dans votre assiette) d’une révolution plus large encore.

Là où la vapeur a conduit à la mécanisation de la société, l’électricité à la production en série, et l’informatique à l’automatisation, la 4e révolution industrielle fait converger 4 technologies majeures et nous conduit à une rupture sans précédent dont lers premiers effets sont totalement contre-intuitifs.

Non seulement les humains les plus défavorisés sont déjà en train d’améliorer leur vie grâce à ces progrès, mais dans certains cas, ils sont en fait les premiers à en bénéficier.

2.2 Les pays émergents deviennent les “early adopters” des technologies NBIC

Prenez les drones civiles pour commencer.

Le gouvernement rwandais a annoncé la mise en place d’un nouveau service national de livraison de drones pour transporter des fournitures médicales d’urgence critique de la capitale aux régions les plus reculées du Rwanda.

Et si vous deviez passer quatre heures par jour pour cuisiner tous vos repas parce qu’en plus de la cuisine, vous deviez aller chercher du bois de chauffage ? Et si vous ne pouviez travailler et étudier que pendant la journée parce que vous n’aviez pas de lumière la nuit ? Imaginez que vous vous rendiez aux urgences après vous être blessé, et que vous soyez renvoyé chez vous parce qu’il n’y a pas d’électricité ? Nous vivons dans un monde au sein duquel 1.3 milliards de personnes ne disposent toujours pas d’accès à l’électricité, tandis qu’un milliard de personnes n’a pas accès à des sources d’énergie fiables. La bonne nouvelle ? La révolution des énergies renouvelables est en marche. En 2015, elles ont répondu à respectivement 90% et 50% des besoins en électricité du Kenya et du Nicaragua. Le Bangladesh alimente déjà 25 millions de personnes grâce à l’énergie solaire. L’Inde vient d’annoncer ses plans pour alimenter 18 millions de maisons supplémentaires d’ici 2022. L’énergie solaire est récemment devenue aussi compétitive et abordable que les combustibles fossiles dans certains pays. En mai 2016, la Dubai Electricity and Water Authority a reçu cinq offres pour produire de l’énergie coûtant moins de 3 cents par kilowatt-heure. Le Chili donne à certains moments de l’année de l’énergie gratuitement. Alors que la vague des énergies renouvelables balaie le monde, elle apporte non seulement de l’énergie propre, mais place également les pays qui l’adoptent comme leaders des futurs réseaux intelligents. Ces nouveaux systèmes sont en cours de construction sur les technologies numériques. Ils formeront une nouvelle infrastructure intelligente de l’énergie appelée l’Internet de l’énergie.

Au Nigéria, non seulement les terres sont sous-utilisées, car la main-d’œuvre en haute saison peut être trop coûteuse, mais les femmes sont souvent encore plus touchées car elles ont moins accès à la terre, au matériel, au crédit et aux services. Hello Tractor, le « Uber » des tracteurs, connecte les propriétaires de tracteurs nigérians aux agriculteurs par SMS, créant un service grâce auquel  le propriétaire du tracteur «conduit le tracteur à la ferme, fournit la main-d’œuvre et est payé 75 $ l’hectare».  Pour 1/3 du coût de la culture manuelle, l’agriculteur fait des économies et le propriétaire du tracteur augmente ses revenus de 500%. Hello Tractor exploite les technologies dématérialisées et démocratisées intégrées aux smartphones pour remodeler l’agriculture nigériane et tracer les premiers pas de l’abondance.

Pendant l’épidémie Ebola, une technologie de séquençage génétique de pointe a été utilisée pour identifier plus rapidement et suivre des mutations du virus en temps réel. Grâce au séquenceur de poche, le Minion d’Oxford Nanopore, le virus a été séquencé en Guinée en 24 heures. Une telle technologie pourrait être utilisée pour aider à suivre et à comprendre la propagation des épidémies futures dans les coins les plus pauvres du monde.

Dans le cadre d’une campagne de santé contre le cancer de l’utérus, le Kenya et 5 autres pays d’Afrique proposent aux femmes de se rendre, en zone rurale, dans des cliniques pour y prendre des selfies de leurs utérus. Les professionnels de santé y utilisent un accessoire optique venant se plugger sur un smartphone Android pour identifier les signes précoces de cancer. Et bientôt ces dispositifs seront encore plus performants dans la détection de maladies. Ils intégreront de l’intelligence artificielle. Ca peut vous paraître anodin mais c’est loin de l’être. Déjà aujourd’hui des systèmes d’IA spécialisés dans la détection de cancer sont plus performants que l’humain. Pourquoi c’est important ? Parce que 4 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à des dispositifs de diagnostics médicaux. D’après le forum économique mondial, il faudrait 300 ans pour former suffisamment d’experts médicaux répondant aux besoins médicaux des pays en voie de développement…

Copyright Gerd Leonhard

Mais, et de loin, la technologie qui risque d’être la plus transformatrice à long terme est le smartphone.

Imaginez il y a 20 ans décrire à quelqu’un le contenu auquel nous avons maintenant accès grâce à notre smartphone : une encyclopédie gratuite, des cartes routières de la plupart des villes du monde, la météo, la bourse en temps réel, la version PDF de la plupart des manuels… La liste est longue. Imaginez expliquer que vous avez accès à tout ça quasiment gratuitement et que ça tient dans votre poche. Vous seriez passé pour un fou. Pourtant…

Il y a moins de 20 ans, moins de 3% de la population mondiale avait un mobile, maintenant 2/3 de la population mondiale est équipée. Il y a 10 ans, nous étions 6.4 Mds sur Terre dont 1 milliard online. Nous sommes maintenant 7.5 milliards dont presque 3 milliards online. 3 milliards de personnes sont connectées via des devices mobiles avec des puissances de traitement, des capacités de stockage et un accès à la connaissance sans précédent. La puissance de n’importe quel smartphone est supérieur au plus puissant des superordinateurs d’il y a 20 ans. Les applications concrètes fleurissent. Saviez-vous qu’un tiers de la croissance du Kenya vient aujourd’hui de la seule application mobile M-Pesa ?

2.3 La 4e révolution “industrielle” va poser de gigantesques questions

Oui les technologies NBIC sont prometteuses. Mais le véritable défi pour les prochaines décennies réside dans leur implémentation. Les nouvelles innovations technologiques bénéficient encore largement d’abord aux pays développés. Alors que nous entamons une transition vers des industries plus vertes, il nous faudra aussi prendre en compte les milliards de personnes dépendant de nos « vieilles » industries. Par exemple, si des fermes automatisées pourraient être bénéfiques pour la planète, elles pourraient aussi déstabilisées plus de 40% des personnes dans les pays en voie de développement qui vivent de l’agriculture. De la même façon les technologies de conduite autonome vont mettre au chômage des millions de travailleurs. Si nous entamons une transition du pétrole vers des sources d’énergies alternatives, alors des pays comme l’Arabie Saoudite, la Lybie, ou la Russie par exemple, vont devoir diversifier leur économie avant qu’elle ne soit trop atteinte et que cela n’entraîne des conséquences géopolitiques.

Ces technologies sont neutres et renferment un immense pouvoir : celui de rendre le monde équitable. Mais en contrepartie, elles vont peu à peu soulever de gigantesques questions éthiques, économiques, sociales, géopolitiques, philosophiques… Je vais en aborder certaines dans la prochaine et dernière partie.

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Fondateur paris-singularity.fr👁️‍🗨️Entrepreneur social trackant les deep techs

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