Le monde s’étouffe de plus en plus dans la « pollution numérique »

La société a compris comment gérer les déchets produits par la révolution industrielle. Des dizaines de milliers de Londoniens sont morts du choléra entre 1830 et 1860. Les causes étaient simples : des quantités massives de déchets humains et de contaminants industriels se déversaient dans la Tamise, la voie navigable centrale d’une ville au centre d’un monde en voie d’industrialisation rapide. Le problème a finalement été résolu par un ingénieur talentueux, Joseph Bazalgette, qui a conçu et supervisé la construction d’un réseau d’égout industriel entièrement intégré. Une fois terminé, Londres n’a plus jamais souffert d’une épidémie majeure de choléra. Nous devons faire la même chose avec Internet aujourd’hui.

L’industrialisation ayant entraîné une urbanisation accrue, la combinaison des sous-produits de l’activité humaine a atteint des niveaux tels que leurs effets ne pouvaient être ignorés. La stratégie de l’époque a consisté à d’abord reconnaître que les déchets humains directs et indirects étaient eux-mêmes un problème à l’échelle industrielle. Si la machine à vapeur et le haut fourneau annonçaient notre entrée dans l’ère industrielle, les ordinateurs et les smartphones marquent aujourd’hui notre entrée dans une nouvelle ère, qui se définit non pas par la production physique mais par une multitude de nouveaux services s’appuyant sur Internet. Dans cette nouvelle ère, des noms comme Zuckerberg, Bezos, Brin et Page sont les nouveaux Carnegies, Rockefeller et Ford. Comme toujours, le progrès a un prix. Comme les usines d’il y a 200 ans, le progrès lié au numérique a engendré une pollution qui réduit à la fois notre qualité de vie et la force de notre démocratie. Nous gérons ce que nous choisissons de mesurer. Il est donc temps de nommer et de mesurer non seulement les progrès que la révolution de l’information a permis de réaliser, mais aussi les dommages qui en ont découlé. Tant que nous ne l’aurons pas fait, nous ne saurons jamais quels coûts valent la peine d’être supportés.

L’événement politique le plus marquant des deux dernières années a peut-être été la question de savoir si Donald Trump et sa campagne électorale ont été complices des efforts déployés par la Russie pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016 en ciblant les vulnérabilités des services d’information numérique. Twitter pourrait maintenant être utilisé pour aider à déterminer l’intention dans une enquête présidentielle d’obstruction à la justice. Plus largement, la diffusion de canulars et de fausses allégations d’enlèvement sur Facebook et WhatsApp  a entraîné des violences ethniques, y compris des lynchages, en Inde et au Sri Lanka.

Les préoccupations concernant une potentielle dépendance aux services à la demande accessibles depuis son mobile sont croissantes. Un groupe d’investisseurs institutionnels a fait pression sur Apple pour que le géant numérique agisse. Ce groupe met en avant des études montrant l’impact négatif de la technologie sur la capacité des étudiants à se concentrer, ainsi que les liens entre l’utilisation de la technologie et les problèmes de santé mentale. Le gouvernement chinois a annoncé son intention de contrôler l’utilisation des jeux vidéo par les enfants en raison d’une augmentation des niveaux de myopie. Chamath Palihapitiya, ancien dirigeant de Facebook, a décrit les mécanismes utilisés par l’entreprise pour retenir l’attention des utilisateurs comme étant  » des boucles de rétroaction à court terme dictées par la dopamine que nous avons créées[qui] détruisent le fonctionnement de la société « , disant à un public de la Stanford Graduate School of Business que ses propres enfants « ne sont pas autorisés à utiliser cette merde. »

Malgré tout les bénéfices d’Internet, nous sommes maintenant aux prises avec les effets de la pollution numérique. A tel point qu’ils mettent en cause le bien-être collectif. Nous sommes maintenant face à un système qui est ancré dans chaque structure de nos vies et de nos institutions, et qui est lui-même en train de façonner notre société d’une manière qui influe profondément sur nos valeurs fondamentales. L’inquiétude générale est donc légitime. L’anxiété et la peur accrues, la polarisation, la fragmentation d’un contexte commun et la perte de confiance sont quelques-unes des conséquences les plus évidentes de la pollution numérique. La dégradation potentielle des capacités intellectuelles et émotionnelles, comme la pensée critique, l’autorité personnelle et le bien-être émotionnel, est plus difficile à détecter. Nous ne comprenons parfaitement ni la cause ni l’effet des « toxines » numériques. L’amplification des croyances les plus odieuses dans les médias sociaux, la diffusion d’informations inexactes en un instant, l’anonymisation de notre discours public et les vulnérabilités qui permettent aux gouvernements étrangers d’intervenir dans nos élections ne sont que quelques-uns des nombreux phénomènes qui se cumulent au point que nous avons maintenant de réelles inquiétudes quant à l’avenir du modèle démocratique.

L’instantanéité et la connectivité de l’Internet facilitent considérablement la libre circulation de cette « pollution numérique ». Ce phénomène sans précédent s’explique au travers de 3 dimensions : la portée, l’échelle et la complexité. La portée de ce monde numérique est plus vaste et plus profonde que ce que nous avons tendance à penser. Elle est plus large parce qu’elle touche tous les aspects de l’expérience humaine, les réduisant tous à un seul petit écran qui anticipe ce que nous voulons ou ce que nous « devrions » vouloir.
La pollution numérique est plus profonde car l’influence de ces services numériques pénètre notre esprit et notre corps, notre noyau chimique et biologique. Les preuves s’accumulent selon lesquelles vérifier 150 fois par jour téléphones pourraient avoir une influence profonde sur nos comportements et nos systèmes de récompenses psychologiques d’une manière plus omniprésente que tout autre média. C’est plus profond parce que l’influence de ces services numériques s’étend jusqu’en bas, pénétrant notre esprit et notre corps, notre noyau chimique et biologique. 
Les preuves s’accumulent. Le fait de vérifier 150 fois par jour nos téléphones pourraient avoir une influence profonde sur nos comportements et nos systèmes de récompenses psychologiques d’une manière plus omniprésente que tout autre média.
Troisième défi, la portée et l’ampleur de ces effets reposent sur des systèmes algorithmiques et d’intelligence artificielle (IA) de plus en plus complexes, ce qui limite notre capacité à exercer toute gestion humaine. Ensemble, ces trois bouleversements ont eu des répercussions au moins aussi profondes que la transition de la société agricole à la société industrielle, sur une période de temps beaucoup plus courte.
La société humaine est donc aujourd’hui confrontée à un choix critique : Traiterons-nous les effets de la technologie numérique et de l’expérience numérique comme un sujet sociétal devant être impérativement être géré collectivement ? À l’heure actuelle, la réponse donnée par ceux qui dispose de la plus grande concentration de pouvoir est : non.
Nous avons tendance à penser que la pollution doit être éradiquée. Or, ce n’est pas forcément le cas. À presque tous les égards, notre capacité à tolérer un certain niveau de pollution pendant un temps donné a amélioré la société. La population, la richesse, la mortalité infantile, la durée de vie et la morbidité ont toutes évolué de façon spectaculaire dans la bonne direction depuis la révolution industrielle. La pollution est un sous-produit de systèmes destinés à produire un bénéfice collectif. La question à laquelle nous sommes confrontés à l’ère numérique est donc d’identifier le niveau de pollution numérique que nous sommes prêts à tolérer en perspective de faire progresser le bien commun.
A l’image des lois établis sur les niveaux tolérables de déchets et de pollution, nous pourrions établir des règles, des normes et des attentes en matière de technologie. Le monde en ligne pourrait peut-être moins instantané, pratique et divertissant. Il pourrait y avoir moins de services bon marché. Nous pourrions complexifier quelque peu certaines transactions plutôt que de les faciliter constamment. Mais ces contraintes ne détruiraient pas l’innovation. Elles canaliseraient la créativité dans des directions socialement plus souhaitables.
La suite ici (Judy Estrin & Sam Gill)
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