Technologie sans conscience n’est que ruine de l’Homme.
Pourquoi cet article est intéressant ? L. Bardon . – Facebook/Meta (comprenant l’application Facebook, Messenger, Instagram, WhatsApp, Facebook Audience Network, et ses autres applications, services et matériel) est devenue une nouvelle superpuissance mondiale. Facebook est parvenue à cette position dominante en combinant les médias sociaux, le mobile, le cloud et les technologies de big data. Un article publié en 2012 dans la revue Nature, basé sur une collaboration entre Adam Kramer, spécialiste des données Facebook, et des chercheurs universitaires – ” A 61-Million-Person Experiment in Social Influence and Political Mobilization ” – a détaillé comment l’entreprise a inséré des indices liés au vote dans les fils d’actualité de 61 millions d’utilisateurs de Facebook afin de tirer parti des processus de comparaison sociale et d’influencer le comportement de vote à l’approche des examens de mi-parcours de 2010. L’équipe a conclu que ses efforts ont réussi à déclencher une ” contagion sociale ” qui a influencé le comportement dans le monde réel, avec 340 000 votes supplémentaires exprimés en conséquence. Facebook a déjà un impact quotidien plus important sur la vie de certaines personnes que leur gouvernement. Aujourd’hui, ce que 2,7 milliards de personnes considèrent et interprètent comme la vérité au quotidien (et les quelque 40 milliards de dollars que les entreprises dépensent en publicité chaque année) est ” gouverné ” par une seule entreprise à but lucratif.
Avant l’émergence d’Internet, lorsque quelqu’un posait une question délicate, nous demandions à nos proches, ou nous consultions une encyclopédie, voire nous allions effectuer des recherches à la bibliothèque. Depuis Internet et Google, nous dépendons moins de nos souvenirs. De la même façon, depuis l’émergence des réseaux sociaux et de Facebook, les relations sociales ne sont plus exclusivement l’apanage du monde réel. Sommes-nous en train de progressivement externaliser une compétence clé, à savoir créer du lien et notre force de collaboration ? Le numérique et Internet semblent transformer nos cerveaux, pour le meilleur ou pour le pire, nous n’avons pas de certitudes à ce stade.
Flashback au premier confinement. Face à l’isolement, les Facebook, Twitter et autres médias sociaux ont davantage pris place dans notre quotidien, devenant pour un temps donné un canal crucial de communication entre les familles, les amis et les collègues. Par ailleurs, il y a 5 ans, plus de 10% de la population mondiale était analphabète. Les réseaux sociaux ne pourraient-ils pas constituer un moyen de rendre l’éducation plus accessible ?
Le présent est la bêta version du futur.
Synthèse
Dans beaucoup de pays d’Afrique, Facebook EST Internet. Les entreprises et les consommateurs en dépendent fortement depuis le lancement, en 2015, de Free Basics par Facebook, un service internet donnant aux utilisateurs un accès gratuit à la plateforme. Conçu pour fonctionner sur les téléphones mobiles à bas coût, il offre un format limité, sans contenu audio, photo et vidéo. Au cours des cinq dernières années, Free Basics a été déployé dans 32 pays africains. Mais l’ambition de Facebook ne s’arrêtait pas là. Lorsqu’il n’y a pas de fournisseurs de services de télécommunications avec lesquels s’associer, ou lorsque l’infrastructure est médiocre, l’entreprise a conçu des satellites capables de donner accès à Internet dans des zones reculées. Ce projet a toutefois été mis en échec en 2016, lorsqu’une fusée propulsée par SpaceX a explosé et détruit un satellite AMOS-6 à bord (Facebook avait l’intention de lancer un satellite et de louer une connexion à internet en partenariat avec Eutelsat, une société française de satellites).
En Afrique, l’accès à l’internet se fait essentiellement par le biais des téléphones mobiles ; seuls 8 % des ménages africains possèdent un ordinateur, alors que le taux d’équipement d’un téléphone tourne autour de 50 %. La moitié des téléphones mobiles ont accès à Internet, mais pas via des forfaits. La majorité des utilisateurs paient leur consommation en données au fur et à mesure, et possèdent parfois plusieurs cartes SIM pour passer d’un plan à l’autre. Lorsque le crédit en données qu’ils ont achetées est épuisé, ils restent… Facebook.
Néanmoins les pays de l’hémisphère Sud sont de plus en plus conscients des implications induites par l’utilisation de Facebook. Free Basics a été effectivement interdit en Inde en 2016, après un tollé provoqué par des protestations relatives à ma violation des règles de neutralité du réseau (principe selon lequel tous les contenus et applications doivent être autorisés par les fournisseurs de services Internet). Selon les recherches menées par Global Voices, les actions de Facebook constituent un « colonialisme numérique », dans le cadre duquel l’entreprise « construit cette petite toile qui transforme l’utilisateur en un consommateur essentiellement passif de contenu d’entreprise essentiellement occidental ». Néanmoins, ces consommateurs ne sont pas toujours passifs. La concentration d’utilisateurs sur Facebook dans certains pays africains a eu des résultats positifs en termes de facilitation de la liberté d’expression et de l’activisme civique dans des nations où des régimes oppressifs contrôlent étroitement l’espace public.
Pour les petites entreprises comme pour les utilisateurs, Facebook est inévitable. Si l’entreprise se bat peut-être pour sa survie en Occident, où les appels à la réglementation se font de plus en plus pressants et assombrissent ses perspectives, l’influence économique, politique et sociale de Facebook dans beaucoup de pays d’Afrique lui garantit presque une seconde vie.