Lorsque nous utilisons les services de Google, nous ne sommes pas le client mais le produit. La majeure partie des bénéfices de Google provient de la vente d’espaces publicitaires et de données d’utilisateurs à des entreprises. Les modèles d’affaires de Facebook et de Google reposent sur la marchandisation des données personnelles, transformant nos amitiés, nos intérêts, nos croyances et nos préférences en biens immatériels. La soi-disant économie de partage est basée sur le même principe. Au lieu d’interagir avec un intermédiaire, les clients interagissent les uns avec les autres. Le rôle d’une entreprise n’est donc plus de fournir le service, mais de mettre en relation les vendeurs avec les acheteurs. Ces plateformes sont présentées comme une transformation radicale de la façon dont les biens et services sont produits, partagés et livrés. Mais c’est aussi un moyen facile pour les entreprises de minimiser leur responsabilité. Et à cause des effets de réseau, la nouvelle économie concentre davantage les bénéfices dans les mains d’un petit nombre d’entreprises.
Nous devrions nous demander comment la valeur de ces entreprises a été créée, mesurée et qui en bénéficie. Mesurer la valeur d’une entreprise comme Google ou Facebook en fonction du nombre de publicités qu’elle vend est conforme à l’économie néoclassique standard, qui interprète toute transaction basée sur le marché comme signalant la production d’une sorte de produit ; autrement dit, peu importe ce que la chose est, tant qu’un prix est proposé, elle a de la valeur. Mais dans le cas de ces géants d’Internet, c’est trompeur : si les géants en ligne contribuent au bien-être social, ils le font à travers les services qu’ils fournissent aux utilisateurs, et non à travers les publicités qui les accompagnent. Par prolongement, attribuer de la valeur à ce que les géants de l’Internet produisent est biaisé et paradoxal : leurs activités publicitaires sont décomptées comme une contribution nette au revenu national, alors que les services plus précieux qu’ils fournissent aux utilisateurs ne le sont pas.
N’oublions pas qu’une grande partie de la technologie et des données nécessaires a été créée par nous tous, et devrait donc nous appartenir à tous. L’infrastructure sous-jacente sur laquelle reposent toutes ces entreprises a été créée collectivement (par le biais de l’argent des contribuables qui ont construit Internet), et elle se nourrit également des effets de réseau qui sont produits collectivement. Il n’y a donc aucune raison pour que les données du public n’appartiennent pas à un dépôt public qui les vendraient aux géants de la technologie, plutôt que l’inverse. Mais la question clé ici n’est pas seulement de redistribuer une partie des bénéfices des données aux citoyens, mais aussi de leur permettre de façonner l’économie numérique de manière à satisfaire les besoins du public.
La suite ici (Marianna Mazzucato)