Au début des années 1980, un groupe d’entreprises informatiques en plein essor a ouvre des boutiques dans un coin perdu du nord-ouest de Pékin, près des campus des universités de Pékin et de Tsinghua. L’émergence d’un marché des PC dans un contexte où de nombreux Chinois ne possédaient toujours pas de réfrigérateur avait quelque chose d’étonnant. Plus remarquable encore, les entreprises de la rue Electronics étaient des entreprises privées. Leur incursion fut impulsée au travers des réformes économiques de la Chine, qui ont été liées très tôt aux investissements dans la science et la technologie. Au cours des années qui ont suivi, la Chine a connu une renaissance scientifique et technologique. Entre 1991 et 2016, le financement public de la recherche et du développement a été multiplié par 30. En 2009, le pays a dépassé le Japon en termes de dépenses en R&D. L’Organisation de coopération et de développement économiques prévoit qu’elle dépensera plus que les États-Unis d’ici 2019.
Aujourd’hui, la Chine compte neuf des 20 plus grandes entreprises technologiques du monde, dont trois figurent parmi les 10 premières. Les ambitions définies dans les récents plans gouvernementaux sont de grande envergure : exceller dans des domaines comme la technologie mobile 5G, la sélection des semences et la robotique d’ici 2020 ; et devenir un leader mondial en intelligence artificielle (IA) d’ici 2030.
Si la Chine finance de grands projets scientifiques, a-t-elle déjà réalisé de sérieuses percées scientifiques ou lancé un produit qui remodèle le marché mondial, comme l’iPhone ? Alors que les meilleures universités chinoises grimpent dans le classement mondial, le pays ne peut se targuer que d’un seul lauréat du prix Nobel en sciences n’ayant pas réalisé ses travaux à l’étranger. Pourtant, certains signes indiquent que la situation pourrait être en train de changer.
Certes la vague de Nobels locaux n’a pas encore frappé le monde, mais la Chine connaît une explosion de l’innovation commerciale. Les puissantes entreprises technologiques du pays, ainsi que quelques jeunes entreprises ambitieuses, sont en train de façonner des modèles d’affaires dans la Silicon Valley-et mènent le débat sur les contrôles et la surveillance sur Internet.
A mesure que ces géants technologiques chinois grandissent et s’installent à l’étranger, ce qui les freine n’est probablement plus le manque de talent ou de ressources. Ce sont peut-être plutôt leurs liens avec le gouvernement chinois, celui-là même à l’origine du boom technologique de la Chine lancé via le programme de réforme économique il y a 40 ans. Un plan clé, adopté en 2006, a défini des objectifs de croissance jusqu’en 2020. Cette année-là, la Chine visait à consacrer 2,5 % de son PIB à la R-D et à exceller dans des domaines comme la biotechnologie, la nanotechnologie et le développement de médicaments. Après le dévoilement du plan 2006, les collectivités locales se sont empressées de manifester leur soutien en dévoilant des programmes d’incitation. Le salaire des professeurs dépendait du nombre d’articles qu’ils publiaient dans des revues indexées. Pour les entreprises, les subventions à l’innovation lucratives dépendaient de l’obtention d’un grand nombre de brevets. Les gouvernements national et provinciaux ont consacré des sommes importantes pour attirer de nouveau les dizaines de milliers de chercheurs nés en Chine qui vivent à l’étranger, estimant qu’ils pourraient relancer l’innovation. Les bénéficiaires de subventions se sont vu offrir des sommes lucratives de réinstallation, ainsi que des salaires bien supérieurs aux normes locales.
Sur le papier, c’est une réussite. La production a grimpé en flèche. Aujourd’hui, la Chine se classe au premier rang mondial, devant les États-Unis, pour le nombre d’articles scientifiques et techniques publiés dans des revues internationales, selon la National Science Foundation des États-Unis. L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle place la Chine au deuxième rang des dépôts internationaux de brevets. Dans le domaine de l’IA, l’un des principaux domaines stratégiques du gouvernement, la Chine est en tête du classement mondial tant pour les publications que pour les brevets délivrés. Selon une analyse de l’Institut chinois pour la politique scientifique et technologique de l’Université Tsinghua, il est également le chef de file en matière de brevets dans le domaine des nanotechnologies.
Mais en regardant de plus près ces chiffres, des problèmes apparaissent. De nombreux brevets nationaux chinois sont des brevets dits » poubelles » qui ne sont pas renouvelés après 5 ans. L’accent mis sur la publication a conduit à l’émergence d’un marché noir florissant des publications universitaires. Partout dans le monde, les mesures incitatives découragent souvent le travail sur de grandes questions de recherche auxquelles il faut des années pour répondre, mais en Chine, c’est encore plus vrai. Le favoritisme constitue un frein au retour des scientifiques chinois basés à l’étranger. Le Parti communiste chinois contrôle toujours fermement la plupart des universités et des institutions de recherche. Paradoxalement c’est aussi cela qui explique la montée en puissance de la Chine : l’interaction entre les directives de l’État et l’expérimentation locale. Les principales sociétés technologiques Baidu, Alibaba et Tencent ont largement profité de cette dimension régionale et entrepreneuriale. Tencent a son siège social à Shenzhen. Alibaba et sa filiale Ant Financial sont à Hangzhou. Seul Baidu est basé dans le Zhongguancun de Pékin. Ses trois sociétés ont en commun d’avoir bénéficié de différents niveaux de blocage, de pressions, de censure et d’autres mesures qui ont entravé les concurrents étrangers dans un marché avide de produits Internet. Les jeunes entreprises chinoises d’Internet en ont profité pour mettre à l’essai des idées qui n’avaient pas été encore testées ailleurs. L’une de ces idées était le scanner QR intégré – l’outil technique qui permet les paiements mobiles dans les applications WeChat et Alipay. Les scanners sont l’une des principales raisons pour lesquelles le marché chinois des paiements mobiles est aujourd’hui évalué à 15,4 mille milliards de dollars, ce qui le rend plus de 40 fois plus grand que celui des États-Unis. Ce marché est à la base de l’un des secteurs les plus dynamiques du monde technologique chinois : les services en ligne et hors ligne. Les entreprises de technologie chinoises ont si bien réussi que le sens de la copie s’est inversé ; les entreprises de technologie américaines empruntent maintenant des idées à l’Empire du Milieu.
La première vague d’innovation chinoise n’est pas technologique mais plutôt au travers de nouveaux modèles d’affaires. Mais l’un peut conduire l’autre. Au fur et à mesure qu’ils arrivent à maturité, les géants technologiques chinois ouvrent des installations de recherche à l’étranger et se concentrent sur des domaines comme l’IA et les voitures autonomes. Baidu, qui vise à ce que la moitié des utilisateurs de ses applications cartographiques viennent de l’extérieur de la Chine d’ici 2020, dispose de deux centres de recherche dans la Silicon Valley de Sunnyvale et d’un troisième à Seattle. Le premier ministre Li Keqiang a annoncé que les startups seraient encouragées et que des incubateurs seraient établis partout en Chine. Les start-ups technologiques chinoises sont aujourd’hui soutenues, mais aussi de plus en plus cooptées. Pourquoi ? Car contrairement au développement d’Internet, les paiements mobiles et la reconnaissance faciale ne menacent pas le pouvoir central ; ils le renforcent.
De telles alliances pourraient contrecarrer les efforts des entreprises pour créer des produits révolutionnaires qui plaisent aux consommateurs du monde entier.
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