Né à Bruxelles en 1965, Éric Lechien travaille dans l’industrie pharmaceutique. C’est au cours d’une lecture de vacances que naît l’idée d’écrire un roman d’anticipation qui irait jusqu’à l’année 2150. « J’avais toujours voulu m’essayer à l’écriture d’un roman mais je cherchais un sujet qui éveillerait suffisamment ma curiosité. Finalement, c’est suite à la lecture du livre de Laurent Alexandre : La Mort de la Mort que je me suis lancé dans la recherche documentaire et l’écriture de ce roman. » L’immortalité et ses conséquences, l’environnement, la géopolitique, la religion et le pouvoir, l’intelligence artificielle et la conquête de l’espace, sont autant de thèmes traités dans ce roman.
Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre ?
« Je me suis beaucoup intéressé au passé dans ma vie. A l’histoire récente des derniers siècles, à celle de notre humanité jonchée d’évènements magnifiques et horribles. A 50 ans passés, j’ai senti le besoin de réfléchir et imaginer le futur, ce futur à la fois proche et lointain, que peu prennent le temps de sonder car nous sommes happés par ce besoin irrépressible de vivre et consommer le moment présent. Comment l’humanité façonnera-t-elle le futur ? En resterons-nous maîtres ? Ne sommes-nous pas nos pires ennemis ?
Ce livre est une fiction qui trouve ses origines dans ce que nous expérimentons et vivons aujourd’hui dans notre monde. Il ne s’agit pas de prophétie, ni de positionnement en faveur de tel ou tel courant d’opinion, parti politique, puissance financière, technologique, scientifique. Il n’est pas question non plus de positionnement religieux.
La compréhension du futur est personnelle. Que restera-t-il de mon humanité et de ma façon de voir le monde aujourd’hui ? Quels combats demain pour quel futur ? A chacun sa réponse. »
Votre histoire se déroule sur plusieurs générations et aboutit sur un monde dominé par les États-Unis, la Chine et la Russie. Considérez-vous que l’Europe va échouer à tirer son épingle du jeu, et pour quelles raisons ?
« J’aime beaucoup votre question. Je suis un pro-européen. Mais force est de constater que ces dernières années, nos populations et nos hommes politiques n’arrivent simplement pas à dépasser leurs craintes et se réfugient derrière une pensée beaucoup trop nationaliste à mon goût. Si nous n’arrivons pas à transcender cela, alors oui, je crains le pire pour mon idéal européen. Il y a quelques années, j’ai lu le livre co-écrit par Cohn-Bendit et Verhofstadt : Debout l’Europe ! Ca c’est mon idéal européen ! Mais aujourd’hui, nous assistons au Brexit, à une cacophonie incessante. Dans l’ombre, des gens comme Steve Bannon, ancien conseiller de campagne de Donald Trump, œuvre à la promotion des nationalismes européens. C’est vieux comme le monde… diviser pour mieux régner. Les personnages de mon roman évoluent dans un monde identique. L’Europe est dominée et le retard pris dans la recherche sur l’immortalité finit par faire de nous des citoyens de deuxième zone. Ce n’est clairement pas ce que je souhaite pour mon Europe. »
Quels impacts sociétales (fin du travail, retraite, transmission des biens, taux de criminalité, éducation, etc…) liées à l’immortalité avez-vous souhaité mettre en exergue ?
L’immortalité va toucher à tous nos fondamentaux. Dans le livre j’essaie d’aborder certains d’entre eux. Que vont faire les gens de tout ce temps ? Il s’agira pourtant encore et toujours d’avoir de quoi vivre … Certains s’endetteront et se mettront en situation précaire pour acquérir l’immortalité. D’autres tireront sans doute mieux leur épingle du jeu et utiliserons les nouvelles technologies pour s’inventer de nouvelles sources de revenus. D’autres resteront mortels et vivront comme avant ou presque… car tout changera c’est évident. Les religions devront se remettre en question, il y aura peut-être une nouvelle religion. J’ai bien aimé remettre les religions en question dans le roman. Elles ont été, et sont encore la cause de tellement de drames et d’oppression.
Le sujet de l’immortalité semble tabou ou l’apanage de quelques “fous” en Europe, sinon en France. Qu’en est-il de la Belgique ? Comment le transhumanisme y est perçu ?
Il est vrai que le sujet n’est pas facile. J’aurais pu écrire un bouquin sur le passé comme Ken Follet, cela aurait sans doute été plus vendeur. Pourtant, le futur est passionnant et même s’il effraie car il nécessite de faire face à l’inconnu et envisager sa propre disparition, il est pour moi le sujet le plus urgent à mettre en avant. Que ce soit sur la question de l’immortalité, l’environnement, l’intelligence artificielle, la robotique et la conquête de l’espace, la géopolitique, nous avons le devoir de regarder les choses en face et décider de ce que nous voulons faire de notre humanité. Les personnages de mon roman ne sont pas des super héros, il n’y a pas de « Mister good guy » qui va éliminer tous les vilains et faire en sorte que tout se passe bien.
En Belgique, le transhumanisme est très discret. Comme dans beaucoup d’autres pays, on les considère comme des gens un peu bizarres qui courent après des chimères. Pourtant, il n’y a qu’à s’intéresser un peu à ce que font les GAFA et leurs propriétaires pour se rendre compte que les sujets de mon livre font déjà partie de notre réalité. Un seul regret, je n’ai toujours pas réussi à traduire le roman en anglais. Les romans d’anticipation plaisent un peu plus dans le monde anglo-saxon. On y trouve aussi un peu plus de transhumanistes.
En tant que professionnel de l’industrie pharmaceutique, ce sujet est-il tabou dans le secteur ou vous avez observé une évolution des mentalités ? Et au-delà des mentalités, de votre perception, cela induit-il des ajustements stratégiques ?
A vrai dire, je n’entends pas beaucoup parler d’immortalité autour de moi. Certes, la recherche génétique, le décodage du génome humain, la recherche en neurosciences font sans doute prendre conscience à nos chercheurs et décideurs que le monde pharma de demain ne sera plus celui d’aujourd’hui, mais soyons honnêtes, nous pensons tous que le modèle économique actuel va encore durer de nombreuses années. Il est pourtant inévitable que des ajustements stratégiques s’imposeront, sinon nous risquons de subir le destin des dinosaures. Notre industrie doit investir dans cette conquête de la mort, créer de nouveaux partenariats.
Pour prolonger la discussion avec Eric, c’est par ici.