L. Bardon . – Il y a quelques mois, deux publicités politiques étaient diffusées sur les médias sociaux, mettant en scène des versions truquées du président russe Vladimir Poutine et du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Les deux faux leaders donnaient le même message : l’Amérique n’a pas besoin de leur ingérence dans les élections ; elle ruinera sa démocratie par elle-même. L’objectif était d’amener les Américains à comprendre la fragilité de la démocratie et de les inciter à prendre diverses mesures, notamment à vérifier leur inscription sur les listes électorales et à se porter volontaires pour les élections. Les publicités devaient être également diffusées sur Fox, CNN et MSNBC dans leurs marchés de Washington, DC, mais les stations les ont retirées de la diffusion à la dernière minute.
Le 30 novembre dernier, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Lijian Zhao, épinglait une image sur son profil Twitter. Sur cette image, un soldat se tient debout sur un drapeau australien et sourit de façon maniaque alors qu’il tient un couteau ensanglanté sous la gorge d’un garçon. Le garçon, dont le visage est recouvert d’un voile semi-transparent, porte un agneau. A côté de l’image, Zhao a tweeté : « Choqué par le meurtre de civils et de prisonniers afghans par des soldats australiens. Nous condamnons fermement de tels actes, &appelons [sic] à ce qu’ils soient reconnus responsables ». Le cheapfake est maintenant au cœur d’un incident international majeur. Le premier ministre australien, Scott Morrison, a déclaré que la Chine devrait avoir « totalement honte » et a exigé des excuses pour cette image « répugnante ». Pékin a refusé, accusant plutôt l’Australie de « barbarie » et de tenter de « détourner l’attention du public » des crimes de guerre présumés de ses forces armées en Afghanistan.
Il y a deux leçons politiques importantes à tirer de cet incident. La première est que Pékin a sanctionné l’utilisation d’un cheap par l’un de ses principaux diplomates pour avoir activement diffusé la désinformation sur les plateformes en ligne occidentales. La Chine a traditionnellement fait preuve de prudence dans ce domaine, visant à se présenter comme une superpuissance bienveillante et responsable. Cette nouvelle approche constitue un changement significatif. Plus largement, cependant, cette escarmouche montre également l’importance croissante de la désinformation visuelle en tant qu’outil politique.
Depuis que la tristement célèbre vidéo truquée de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, est apparue en 2019, les contrefaçons sont devenues un élément régulier de la vie politique américaine. Cette année, elles ont contribué à soutenir une opération de désinformation très médiatisée menée par le président et ses plus proches collaborateurs. L’affirmation erronée selon laquelle l’élection a été entachée d’une fraude électorale généralisée a été constamment renforcée par les « cheapfakes ».
La désinformation visuelle, de plus en plus répandue, semble affecter la politique de deux manières distinctes. Premièrement, elle alimente la prolifération de toutes sortes de désinformation. Les mauvais acteurs agissent avec plus d’impunité, convaincus qu’ils peuvent éviter les contrôles et les responsabilités. Deuxièmement, la prévalence croissante de la désinformation visuelle nous rend plus vulnérables à toute désinformation. À mesure que le public prend conscience des nombreuses façons dont les médias peuvent être manipulés, il deviendra plus sceptique à l’égard de tous les médias, y compris les médias authentiques.