Technologie sans conscience n’est que ruine de l’Homme.
Pourquoi cet article est intéressant ? L. Bardon . – La crise sanitaire a mis en lumière les vertus du mode de fonctionnement de Wikipédia. Ce qui était autrefois considéré comme la plus grande vulnérabilité du site, à savoir que tout le monde puisse modifier du contenu, se révêle être sa plus grande force. Les différentes normes mises en place par l’encyclopédie pourrait servir de guide aux grandes plateformes commerciales qui sont devenues des relais de diffusion d’informations fausses, erronées, de comparaisons bidons, etc…
Les articles concernant le coronavirus, publiés sur Wikipédia anglais, font partie de WikiProject Medicine, une collection de quelque 35 000 articles surveillés par près de 150 rédacteurs ayant un intérêt et une expertise en médecine et en santé publique. Une fois qu’un article est signalé comme abordant un sujet relevant de la médecine, les rédacteurs l’examinent avec une férocité exceptionnelle. Dans le cadre de ces circonstances, Wikipédia a démontré qu’une meilleure application des règles existantes n’étaient pas suffisantes, qu’il fallait mettre en place un dispositif et des règles exceptionnelles. A cette occasion, Wikipédia a démontré sa capacité à le faire contrairement aux autres réseaux sociaux.
Avant l’émergence d’Internet, lorsque quelqu’un posait une question délicate, nous demandions à nos proches, ou nous consultions une encyclopédie, voire nous allions effectuer des recherches à la bibliothèque. Depuis Internet et Google, nous dépendons moins de nos souvenirs. Pour autant, ne sommes-nous pas progressivement en train d’externaliser notre mémoire collective vers Internet? Le numérique et Internet semblent transformer nos cerveaux, pour le meilleur ou pour le pire, nous n’avons pas de certitudes à ce stade. L’Homme s’est toujours appuyé sur des technologies pour stocker la connaissance et en créer de nouvelles.
Synthèse
La toute première publication de Wikipédia remonte au 15 janvier 2001. Depuis plus de 20 ans, il existe une métaphore populaire auprès des rédacteurs bénévoles du site : Wikipédia est un jeu de rôle.
L' »univers » de Wikipédia se compose de 6,2 millions de « lieux uniques » (articles de Wikipédia en anglais), de 40,6 millions de « joueurs » (rédacteurs de Wikipédia), et de méchants sous la forme de trolls affrontés au cours de « combats de boss » (les guerres d’édition qui ont parfois lieu concernant le contenu publié sur un article). Le « concepteur du jeu » est Jimmy Wales, qui a créé le site il y a 20 ans et qui était, semble-t-il, un grand fan des MMORPG des années 1980.
Les rédacteurs construisent leur réputation en ligne (ou, en termes de jeu, leurs points d’expérience) en développant des articles et en augmentant leur nombre de modifications. La possibilité de créer une personnalité ou un personnage dans le jeu constitue une autre similitude entre les RPG et Wikipédia. Le contributeur le plus prolifique de la version anglaise de Wikipédia est Steven Pruit. Il a effectué plus de 3,8 millions de modifications depuis 2006. Mais au sein de la communauté Wikipédia, il est plus souvent désigné par son nom d’utilisateur, Ser Amantio di Nicolao, qu’il a emprunté à un personnage mineur d’un opéra de Puccini. Les utilisateurs peuvent s’orienter vers le type de rôle particulier qu’ils souhaitent jouer, les rôles étant décrits dans la WikiFauna, une taxonomie fortement inspirée de la culture nerd et des RPG fantastiques. Il est même possible de choisir sa « quête » dans l’univers du jeu. Par exemple, lorsque Jina Valentine et Heather Hart étaient étudiantes en art, elles ont remarqué que les artistes noirs étaient abordés différemment dans leurs cours d’histoire de l’art. Valentine et Hart s’identifient comme des WikiEnts, un rôle qui vise à améliorer Wikipédia et à promouvoir des interactions pacifiques.
Bien sûr Wikipédia est davantage qu’un jeu. La comparaison avec un RPG est au mieux une métaphore imparfaite. Néanmoins il semble pertinent de s’interroger sur la façon dont les « règles du jeu » pourraient changer au cours des deux prochaines décennies, alors que le service s’appuie moins sur les modifications manuelles et plus sur les outils et les technologies pour rationaliser la création et la mise à jour des articles.
La suite ici (Stephen Harrison)
