La plupart d’entre nous s’est déjà demandé ce que nous ferions si nous n’avions plus besoin de travailler ; comme si nous nous étions réveillés un matin en découvrant que nous avions gagné au loto. Nous imaginons avoir plein de maisons, de voyager autour du monde ou les joueurs que nous pourrions acheter pour notre équipe de foot préférée. Pour beaucoup d’entre nous, l’aspect le plus attirant c’est finalement la liberté : faire ce qu’on veut, quand on veut et comme on veut.
Mais imaginez un instant que cette liberté devienne réelle pour tout le monde. Un jour, les machines seront en mesure de faire la plupart des tâches que les humains peuvent. Dès lors, la fin du travail pourrait être non plus un fantasme mais bien une réalité. Si tout le monde, pas seulement les riches, avait des robots capables de combler ses moindres désirs, alors ces technologies nous libèreraient de la nécessité de travailler pour subvenir à nos besoins. Durant les dernières décennies les économistes et politiciens ont affronté le taux falémique de croissance des salaires, l’inégalité croissante, et le flux croissant du revenu national vers les profits et les loyers plutôt que vers les salaires. Le principal coupable est la technologie. La révolution numérique a accéléré la mondialisation, créer des emplois routiniers automatisés et permis à de petites équipes de travailleurs hautement qualifiés de gérer des tâches qui, autrefois, nécessitaient des dizaines de personnes.
Ironiquement, les premiers symptômes de l’émergence d’une ère de l’abondance technologique sont la croissance de l’emploi à bas salaire et à une faible productivité. Et ces difficultés montrent déjà à quel point la construction d’un monde sans travail sera délicate. Le défi le plus difficile posé par une révolution économique n’est pas la façon dont nous allons utiliser ces nouvelles technologies ; mais de savoir comment redéfinir un modèle sociétal intégrant les bénéfices de ces technologies tout en assurant la satisfaction de tous les travailleurs. Or, jusqu’à présent, nous échouons.
Libérer les gens du travail sans que le modèle social ne s’effondre va exiger que la société trouve d’autres moyens que de rémunérer le travail tout en redistribuant un partie de l’argent vers ceux qui n’ont pas d’emploi. Les gens pourraient recevoir une grande partie de leurs revenus sous la forme d’une redistribution dirigée par l’État : par exemple par le versement d’un revenu de base, ou par la fourniture directe de services publics tels que l’éducation, la santé et le logement. Autre solution, tout le monde pourrait recevoir une allocation de capital dès la naissance.
Ces solutions ne peuvent passer qu’au travers d’actions politiques. Et c’est là que les choses commencent à se compliquer. Une refonte sociale à grande échelle prend beaucoup de temps à émerger et encore plus à avoir des effets. Recevoir une allocation sans contrepartie n’est pas non plus ce que la majorité d’entre nous semble souhaiter pour l’instant. Certaines personnes, dans un monde sans travail, parviendront à trouver d’autres moyens de se réaliser : poursuivre des passions qui ne permettent pas d’en vivre ou s’engager dans le volontariat, tout comme beaucoup de retraités s’épanouissent au travers d’activités qu’ils n’avaient jamais eu le temps d’effectuer. Mais d’autres se retrouveront perdus.
Les sociétés pourraient donc décider que les gens devront contribuer d’une manière ou d’une autre à la collectivité pour recevoir le soutien de l’État. Ceux qui ne travaillent pas, par exemple, pourraient avoir à participer au service communautaire ou à d’autres activités. Construire un monde utopique sans travail au sein duquel la richesse est largement partagée, les gens en grande partie satisfaits de leur vie, et la paix inclusive (sans exclure les étrangers), n’est pas une tâche facile. Les toutes premières étapes de « négociation » sont plutôt décourageantes. Nous allons vivre des étapes de transition douleureuses. Sans contrepoids social, sans action politique courageuse, sans dialogue social et accompagnement du changement à l’échelle nationale, nous pourrions ne jamais aboutir à ce monde, nous pourrions même détruire en grande partie le monde.