Technologie sans conscience n’est que ruine de l’Homme.
Pourquoi cet article est intéressant ? L. Bardon . – Au cours des dernières décennies, plusieurs technologies ont généré des changements radicaux. Nos smartphones et les drones bon marché nous font perdre de vue à quelle vitesse ces changements ont eu lieu. Prenez par exemple la télévision. Elle a commencé à devenir populaire il y a environ 70 ans. Beaucoup de gens conservent encore des souvenirs d’avant l’ère TV. Certaines technologies que nous considérons relever de la science-fiction aujourd’hui seront sans doute considérées comme “normales” dans la vie quotidienne de nos enfants, voir dans la notre au cours des prochaines décennies. Or, l’adoption de nouvelles technologies est un processus d’interaction complexe entre la technologie, l’éthique et les droits de la personne. Par exemple, les inventions comme les pesticides ou les OGM peuvent contribuer à réduire la faim, mais aussi causer des dommages inattendus aux personnes et à l’environnement. Souvent, il faut des décennies avant que nous nous rendions compte que des dommages ont été causés.
L’animosité croissante envers les grandes entreprises technologiques et leurs impacts sur la société, continuera à définir l’état du monde technologique en 2022. Si la responsabilité des produits nocifs incombe souvent à la Direction des entreprises qui commercialisent ces technologies, les décisions qui y conduisent sont souvent prises par les ingénieurs et les développeurs des équipes de produits. Les scandales technologiques, de la publicité discriminatoire à la prolifération des discours haineux, sont le fruit de choix de conception inconscients ayant des répercussions imprévues. Pour y remédier, les employés ont besoin d’outils pour penser au-delà des cas d’usage les plus évidents, pour davantage anticiper des préjudices potentiels comme la discrimination, la dépendance aux technologies ou la polairsation des opinions ; et pour élaborer des stratégies visant à atténuer ces effets. Pour se rendre compte de l’importance de l’innovation responsable, les entreprises devraient donc intégrer et évaluer ces nouvelles pratiques de façon opérationnelle grâce à des indicateurs clés de performance individuels et collectifs, mais aussi des objectifs, les intégrer dans les critères de promotion, d’augmentation, de primes et même d’embauche. Ces incitations concrètes devraient être complétées par une série d’incitations non contraignantes.
La biologie et la technologie débouchent sur des solutions en faveur de la santé de la planète et du corps humain. Depuis des millénaires nous bricolons les éléments constitutifs de la vie. Nos ancêtres utilisaient les plantes et les herbes comme médicaments, les branches de neem comme dentifrice ou cultivaient des plantes comme le maïs. Ce n’est que dans les années 1970 et 1980 que ’industrie biotechnologique moderne d’aujourd’hui a commencé à éclore. La découverte de la technique d’édition génétique CRISPR-Cas9 est actuellement parmi les plus prometteuses. En utilisant des ciseaux moléculaires, les scientifiques peuvent utiliser CRISPR pour éditer l’ADN d’une personne vivante, effacer ou réparer des sections endommagées. D’autres technologies, comme le séquençage de l’ADN, l’ingénierie cellulaire et la bioimpression ont conduit à la création de produits protéiques sans animaux, de biocarburants pour les moteurs à réaction, de matériaux légers plus solides que l’acier et même de mémoire pour le stockage informatique. Les histoires technologiques liées à la biologie se multiplient, écrites par des entreprises innovantes qui transforment des champignons en cuir (MycoWorks), des molécules en whisky (Endless West) et des bactéries en soie (Bolt Threads). La biologie pourrait même réinventer la technologie de l’information.
Le présent est la bêta version du futur.
Synthèse
LE 6 MARS 1995, Kevin Kelly, rédacteur en chef de WIRED et techno-optimiste, se rend à l’appartement de l’auteur Kirkpatrick Sale dans Greenwich Village. Kelly avait demandé une interview à Sale. Kelly venait de lire un premier exemplaire du livre de Sale, intitulé Rebels Against the Future. Il y raconte l’histoire des luddites du XIXe siècle, un mouvement d’ouvriers opposés aux machines de la révolution industrielle. Avant que leur rébellion ne soit écrasée et leurs chefs pendus, ils ont littéralement détruit certains des métiers à tisser mécanisés qui, selon eux, les réduisaient à l’état de rouages dans un moteur déshumanisant de production de masse. Sale adorait les luddites. Au début de 1995, Amazon avait moins d’un an, Apple était dans le marasme, Microsoft n’avait pas encore lancé Windows 95 et presque personne n’avait de téléphone portable. Sale pense que la société est au bord de l’effondrement. Kelly, qui voit la technologie comme une force positive, pense le contraire. Pour le piéger, il demande à Sale quand cela va se produire. Sale est un peu décontenancé puis lâche finalement la date de 2020. Sale cite ensuite extemporanément trois facteurs : une catastrophe économique qui rendrait le dollar sans valeur, provoquant une dépression pire que celle de 1930 ; une rébellion des pauvres contre les riches ; et un nombre important de catastrophes environnementales. Puis Kelly se présente ensuite à l’appartement de Sale avec un chèque de 1 000 dollars pour entériner un pari.
Vingt-cinq ans plus tard, l’échéance qui semblait si lointaine autrefios est arrivée. Les inégalités en terme de revenu n’ont jamais été aussi élevées depuis la Grande Dépression. La Californie et l’Australie étaient en feu cette année. Alors que l’heure du règlement approche, les deux hommes conviennent que Patrick, le détenteur des chèques, doit déterminer le gagnant le 31 décembre. À l’heure de la crise climatique, de la pandémie et du capitalisme à l’excès, l’optimisme quant à l’avenir de l’humanité est-il encore justifié ? Kelly et Sale représentent chacun un côté extrême du clivage. Pour les hommes concernés, l’issue du pari serait une validation personnelle – ou un camouflet – pour les quêtes de toute une vie.
Effondrement économique
Sale a prédit que le dollar et les autres monnaies n’auraient plus aucune valeur en 2020. Patrick fait remarquer que le Dow Jones est à 30 000 et que les nouvelles monnaies comme le bitcoin ont du succès. « Pas beaucoup de contestation ici », écrit Patrick. Le point est atribué à Kelly.
Catastrophe environementale mondiale
M. Kelly a tenté de faire valoir qu’en dépit de l’aggravation du changement climatique, les gens continuent à vivre leur vie comme si de rien n’était. Mais Patrick n’est pas convaincu. « Avec les incendies, les inondations et la montée des eaux qui déplacent les populations, les insectes et les maladies qui se dirigent vers le nord, la fonte des calottes glaciaires et les ours polaires qui n’ont nulle part où aller, ainsi que la pire saison d’ouragans et l’année la plus chaude jamais enregistrée, il est difficile de contester que nous sommes au moins ‘proches’ d’une catastrophe environnementale mondiale », écrit Patrick dans sa décision finale. Ce point est donc atribué à Sale.
La guerre entre les riches et les pauvres
Le livre de Sale cite des statistiques sur l’inégalité des revenus et l’effilochement du tissu social qui interpellent. S’il avait écrit son livre après la pandémie, le tableau serait encore pire. Mais les classes sociales sont-elles en guerre ? Patrick note qu’au cours des décennies qui ont suivi le pari de Kelly et Sale, un développement économique vertigineux a remodelé la Chine et l’Inde, entre autres. D’autre part, il souligne les troubles sociaux indéniables, même aux États-Unis, avec les Trumpites qui descendent dans la rue avec des armes semi-automatiques, et les protestations massives contre les abus de la police. Atribuer un point revient à tirer à pile ou face avec néanmoins un avantage pour Sale.
En conclusion, si les résultats semblent diriger la conclusion du pari vers un match nul, Sale avait évoqué il y a 25 ans une convergence de trois désastres. Le 31 décembre, Patrick a donc déclaré Kelly vainqueur dans un courriel adressé aux parieurs. « Mais ce n’est qu’un match nul et il n’y a pas vraiment de quoi se réjouir », conclut-il. En effet, 2020 n’a offert aucun verdict clair sur le sort de la civilisation, ni sur ce que nous serons dans les 25 prochaines années.
