Ces startups qui veulent changer le monde : medmesafe – Clément Destoumieux, CEO

Image par Loïc Bardon

[INTERVIEW] Clément Destoumieux est le CEO et fondateur de medmesafe, plate-forme en ligne proposant des analyses médicales génétiques et de prise de rendez-vous vidéo avec des praticiens de la santé. Auparavant, il a travaillé sur plusieurs projets européens de marketing digital aux implications juridiques complexes à Londres, Paris et Madrid. Puis il a fondé une agence de communication, spécialisée dans la marque, avec des clients dans les secteurs du luxe, de l’alimentation ainsi que dans l’industrie pharmaceutique. Il est détenteur d’un MS de l’Ecole des Mines de Nantes et d‘un Master de l’Ipag Business School à Paris. Il est membre actif de : l’ANIS (Association nationale des journalistes de la santé), AseBio (Association espagnole de biotech), Association espagnole des startups et est adviser au sein du Bioexpert Network.


L. Bardon – Bonjour Clément. Je suis ravi que nous ayons l’occasion d’échanger ensemble. J’ai découvert pour la première fois medmesafe grâce à une connaissance commune : Jean-Michel Billaut. Son interview sur Viméo m’a donné envie d’en savoir davantage sur votre aventure entrepreneuriale. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez décidé de créer une startup biotech il y a quelques années ?

C. Destoumieux – Suite à une première expérience entrepreneuriale réussie dans le monde du conseil et de la communication, j’ai envie de repartir sur un projet de startup. À cette époque, je m’intéresse de près à la santé. Au fil de mes recherches je découvre des études récentes selon lesquelles notre santé dépend de plusieurs facteurs, le premier d’entre eux étant notre génétique, véritable patrimoine.

Je me demande alors pourquoi les parcours de soin ne commencent pas systématiquement par l’étude de la génétique des individus avant de les accompagner dans une démarche de santé. Je décide donc d’approfondir cette idée.

Je cherche un modèle, une offre, des solutions… qui permettraient de valoriser notre patrimoine génétique pour transformer une offre de soins curative et relativement généraliste en médecine davantage prédictive, préventive, personnalisée…

Ne venant pas de ce milieu, J’établis assez vite une liste d’advisors. Dans cette dernière, le premier nom que j’inscris est celui du Docteur Christian Le Dorze MD (oncologue, fondateur du Groupe Vitalia – aujourd’hui Elsan), Vice Président de Dedalus France). Nous déjeunons ensemble et il est très rapidement séduit par mon idée, à tel point qu’il me propose d’y prendre part.

C’est le rêve de tout entrepreneur de créer quelque chose avec quelqu’un connaissant extrêmement bien le secteur et ayant déjà développé un business au sein de ce dernier!

Je cherche un modèle, une offre, des solutions… qui permettraient d’étudier notre patrimoine génétique pour transformer une offre de soins curative et relativement généraliste en médecine davantage préditive, préventive, personnalisée… et medmesafe nait.


L. Bardon – Je m’intéresse de près à des startups comme Nebula Genomics, créée par le « pape » de la génomique Georges Church, depuis quelques années. Qu’est-ce que propose medmesafe de différenciant vis-à-vis des autres acteurs déjà en place ?

C. Destoumieux – Le secteur de la santé est intrinsèquement  sensible. Il nous a fallu d’abord évaluer les différentes implications juridiques, scientifiques et légales avant de commencer à réaliser un gros travail de sourcing des laboratoires, puis de montage « juridico-légal » et finalement de digitalisation des bonnes pratiques. Une des clés a été de monter un comité scientifique et d’éthique rassemblant des professionnels de référence, tant biologistes que médecins, et que nous continuons d’ouvrir aujourd’hui. Les laboratoires ainsi que les professionnels de santé avec lesquels nous travaillons sont d’ailleurs sélectionnés par ce comité qui est garant du respect des bonnes pratiques du secteur.

Maintenant, plus concrètement, medmesafe joue le rôle d’intermédiaire entre les laboratoires, les médecins et les patients. Nous proposons des examens et des analyses de santé fondés sur les derniers progrès scientifiques et technologiques de la médecine, ainsi qu’un accompagnement assuré par des professionnels spécialisés du domaine. Nos services sont disponibles de façon digitale. Les prélèvements ADN se font à domicile ou dans des laboratoires agréés tandis que l’accompagnement médical est réalisé par vidéo consultation.

Donc notre différence avec Nebula Genomics que vous évoquez,  c’est que nous considérons que, lorsque l’on touche à ces problématiques, l’accompagnement médical est clé. Comme tout analyse, la génomique ou la génétique a ses limites. Les bonnes pratiques recommandent que l’exploitation de ces données soit accompagnée par un professionnel de santé qualifié.

Ca n’est pas la même chose de faire un test AncestryDNA pour découvrir des choses “amusantes” versus un test avec potentiellement des conséquences importantes pour sa santé. Le médecin joue donc le rôle de garde-fou et de coach au centre du parcours que nous proposons.

Suite à l’achat d’une prestation, le patient échange avec un médecin lors d’une première consultation. Ce dernier explique le test commandé mais surtout en qualifie la pertinence au regard de vos antécédents, historique clinique… Si ce dernier présente un intérêt, nous envoyons un kit, la plupart du temps salivaire, à domicile. Ce qui est souvent suffisant pour séquencer une partie du génome ou de l’exome. Un laboratoire partenaire fait ensuite l’analyse. Enfin, une seconde vidéo consultation est organisée pour que le médecin dévoile et explicite les résultats du test.

Dans les prochaines années, à partir de ces données, nous devrions davantage pouvoir faire du préventif. L’initiative Nebula Genomics est intéressante car plus nous disposerons de données de santé, mieux seront entraînés les algorithmes. Mais il me semble qu’il manque dans leur proposition un professionnel de santé qui aide à prendre du recul sur ses données. Le génome est encore surdimensionné par rapport à nos capacités techniques ; on a coutume de dire qu’on sait interpréter entre 1 et 3% du génome. Pour l’instant


L. Bardon – L’année covid-19 derrière nous a été le théâtre de profonds bouleversements qui, parfois, se sont aussi transformés en opportunités. Qu’est-ce que la situation sanitaire a changé pour medmesafe ?

C. Destoumieux – Toute crise est synonyme de changement mais aussi d’opportunités. Professionnels de l’analyse de santé digitale, nous avons tout de suite été sollicités par nos utilisateurs et partenaires pour permettre un testing simple, rapide et de qualité à domicile. Nous avons sollicités par notre réseau via notre implication dans l’association des biotechs dont nous faisons partie en Espage. Je suis également journaliste spécialiste des questions de santé en Espagne.

C’est ainsi qu’au sortir du premier confinement, nous avons lancé trois plateformes (technologie medmesafe) en :

  • Espagnol : mitestcoronavirus.com
  • Francais : montestcoronavirus.com
  • et anglais : mytestforcoronavirus.com

proposant des kits sérologiques Covid-19, fiables et disponibles en 24 à 48 heures dans toute l’Europe.

Depuis, avec nos partenaires laboratoires, nous permettons à nos utilisateurs de réaliser un test PCR dans plus de 70 laboratoires à travers l’Espagne et également à domicile avec un service client en 3 langues qui fonctionne semaine et week-ends.

Nous proposons également des services aux entreprises, que ce soit des PME dans le domaine de l’événementiel, de la production ou des grands groupes comme Mc Donald’s afin de garantir la sécurité de leurs personnels et clients.

Nous avons été parmi les premiers en Europe à mettre à disposition des tests rapides en travaillant étroitement avec nos partenaires distributeurs et fabricants sur la fiabilité de ces derniers.

Avec l’arrivée des auto-tests et l’accélération de la vaccination, nous lançons kitandtest.com qui permet d’obtenir des tests fiables en 24/ 48 heures dans toute l’Europe.


L. Bardon – En 5 ans, qu’est-ce qui a le plus changé dans le domaine de la  biotech selon vous ?

C. Destoumieux – D’une part, la capacité de calcul ainsi que le volume de séquençage permettent à la fois l’amélioration des algorithmes ainsi que la baisse du coût des analyses.

D’autre part, il y a aura un avant et un après dans l’adoption des nouvelles technologies avec la pandémie que nous affrontons depuis plus d’un an.

Les gens s’intéressent plus à leur santé, effectuent des recherches en ligne et souhaitent avoir accès à toujours plus de services.

Nous avons impliqué dès le début de notre projet des professionnels de santé pour co-construire notre modèle. Mais assez rapidement nous avons constaté que les patients étaient beaucoup plus ouverts que ne l’étaient les professionnels de santé. L’explosion du nombre de téléconsultations avec la covid l’illustre parfaitement. Les patients étant passés en ligne, les médecins n’ont pas eu le choix. Les professionnels de santé ainsi que les laboratoires, voient donc maintenant quant à eux une opportunité dans le digital et résistent moins au changement.


L. Bardon – La crise joue souvent le rôle de révélateur et accélère les changements. J’étais dans une room ClubHouse où intervenaient plusieurs acteurs des deep tech comme Xavier Duportet par exemple. Il semblerait que la France ait un métro de retard vis-à-vis de la révolution en cours autour des sciences de la vie. Qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce qui ne change pas assez vite et pour quelles raisons selon vous ?

C. Destoumieux – Je me garderais bien d’expliquer les causes qui expliquent ce retard car elles sont certainement multifactorielles.

Les lois françaises interdisent voir sanctionnent le patient potentiel, ou du moins il y a un vide juridique, pour qui voudrait se faire séquencer. Et pourtant, il me semble qu’il y a 100 ou 200 000 Français l’ayant fait via AncestryDNA.

Dans le cadre d’une démarche médicale, il est bien sûr possible de faire une analyse génétique. En revanche, de ma compréhension, dans une démarche de médecine prédictive c’est très compliqué voir sanctionnable, ce qui me semble assez problématique.

Je suis assez proche de la société savante française de médecine prédictive et personnalisée. Ils essaient, dans le cadre de la loi bioéthique, de faire évoluer ce cadre éthique et les bonnes pratiques pour proposer des analyses préventives. Mais cela met énormément de temps. Je ne comprends toujours pas pourquoi le débat sur les lois bioéthiques se focalise sur la PMA quand la France a déjà eu un débat bioéthique beaucoup plus ample et profond sur ce que veulent les Français. Le principe de précaution (ou la démarche éthique) est toujours érigé en totem. Or, le problème c’est que nous ne définissions pas ce qui est éthique tandis que des acteurs étrangers prennent de l’avance en offrant des services proscrits en France.

Par ailleurs, j’entends beaucoup de médecins se plaindre de docteur Google. Je crois au contraire qu’il faudrait plutôt s’en féliciter. Quel professeur ne serait pas ravi que ses élèves arrivent en cours en ayant déjà un bagage de connaissance minimal sur lequel s’appuyer ? Je trouve ça génial qu’un patient arrive en étant déjà sensibilisé sur sa pathologie. Plutôt que de rejeter ce changement, je crois qu’il faudrait au contraire y prendre part le plus possible, et cela se passe en ligne.

C’est d’autant plus vrai que le nombre d’outils de diagnostic ou de suivi se multiplie. La valeur du médecin va se concentrer sur l’accompagnement humain plutôt que sur ce qui ne demande que de la « capacité de calcul ». Pour l’instant, à partir des données génomiques, des rapports et des données cliniques, le médecin est à même de donner des recommandations. Bientôt nous irons plus loin. En généralisant l’analyse pharmaco- génétique va permettre de calculer la tolérance ou la meilleure adhérence à des traitements médicamenteux.


L. Bardon – Nous avons tous les deux une connaissance commune en la personne de Jean-Michel Billaut. Nous observons d’aussi près que possible, depuis quelques années, l’émergence d’un écosystème biotech chinois au travers de géants comme BGI. Quel est votre regard vis-à-vis de ce mouvement ?

C. Destoumieux – J’aime beaucoup le côté pragmatique et précurseur de Jean-Michel Billaut. La France manque de personnalités/ élites qui s’intéressent à la technologie avec des réflexions long terme.

Les USA et leur capacité d’investissement ont et sont leaders dans le secteur biotech comme dans celui des technologies. Cependant, la crise du covid-19 a révélé au monde la future/nouvelle domination de la Chine dans bien des secteurs. BGI, client historique d’Illumina, fabrique désormais son propre matériel et surtout séquence depuis les plantes jusqu’aux hommes en passant par les animaux. Cela me fait penser aux débuts de Google qui scannait toutes les données possibles pour les indexer en ligne.

Serons-nous capables de rattraper notre retard et concurrencer la Chine ou les USA ? Les acteurs chinois ont tout comme les USA un Etat puissant qui les finance et protège. En Europe, nous sommes hélas divisés et manquons d’ambition. Beaucoup de projets en Europe essaient de promouvoir le décryptage du génome, je pense notamment à Oxford. Idéalement, il faudrait que plusieurs pays se réunissent et missionnent une entreprise privée qui séquencerait le plus de personnes possibles, en respectant les bonnes pratiques et les données des patients. Il faudrait donc une volonté commune. Malheureusement, l’harmonisation juridique et légale européenne n’étant pas en cours, cela me semble peu probable.

L’après crise nous le dira.


L. Bardon – Quelles sont les prochaines étapes (technologiques, de scalabilité, autre…)de medmedsafe qu’il vous est possible de partager avec nous ?

C. Destoumieux – Tout en conservant notre ADN (sans jeux de mots) nous allons diversifier nos services avec des analyses qui touchent des domaines moins cliniques et récréatifs avec les garanties scientifiques que nous sommes à même d’apporter.
Nous continuons le développement de notre activité de service aux entreprises ainsi que notre ouverture vers les autres pays d’Europe dans un premier temps.
Enfin, nous souhaitons accélérer la démocratisation de la génomique et travailler à moyen terme la donnée.

L. Bardon – Merci Clément pour cet échange passionant! Pour celles ou ceux qui souhaiteraient le prolonger, je vous invite à vous rendre sur la chaîne Viméo de l’excellent Jean-Michel Billaut.

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