L’explosion des méthodes d’édition de l’ADN est en train de transformer la médecine, l’agriculture, et peut-être même, l’avenir de l’espèce humaine. Des chiens de chasse plus musclés ; des vaches laitières sans cornes ; de meilleures pommes de terre, plus grosses, plus savoureuses ; des embryons humains génétiquement modifiés…
Les 12 derniers mois ont marqué le « big bang » du génie génétique grâce à CRISPR Cas9, un nouveau moyen facile, peu coûteux et très précis de « modifier » l’ADN des cellules vivantes. Dérivée d’un mécanisme de défense bactérien, cette nouvelle technique de suppression et d’insertion de gènes se répand dans les laboratoires. Si vous n’en avez jamais entendu parler, consultez l’excellent article de mon confrère.
Étant donné le potentiel de CRISPR, il n’est pas surprenant que la bataille sur sa paternité commence :
- A ma gauche l’Université de Californie, Berkeley, avec la biologiste Jennifer Doudna et ses collègues Européens.
- A ma droite, Feng Zhang du Broad Institute du MIT et de Harvard. Ces derniers ont déjà remporté une bataille sur des brevets concernant des cellules humaines.
Berkeley a donc demandé à l’office des brevets des États-Unis de se prononcer sur qui devrait vraiment posséder les brevets de CRISPR.
CRISPR tabou or not tabou ? That is the question
Il y a quelques semaines, plusieurs centaines de scientifiques et bioéthiciens se sont réunis à l’académie nationale des sciences à Washington DC, pour débattre de l’une des plus importante question soulevée par CRISPR : Avons-nous le droit d’utiliser CRISPR sur des embryons pour corriger des anomalies génétiques ?
« L’édition de la lignée germinale » implique de modifier l’ADN soit dans le sperme, soit dans les oeufs, soit dans les embryons. Un jour, l’édition de gènes pourrait être utilisée pour supprimer des maladies génétiques comme la maladie de Huntington ou la dystrophie musculaire qui sont sinon incurables. Ou peut-être, comme le craignent certains, que l’Homme s’arrogera le droit de disrupter la nature pour constituer une armée de bébés super-intelligents aux yeux bleus. L’éthique était donc l’un de leur sujet principal.
Mais les bébés édités génétiquement ne sont pas (encore) le fil rouge des créateurs de la méthode CRISPR, ni même la partie la plus importante. L’édition des gènes est une course en avant dans plusieurs domaines : lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, applications en agriculture, en virologie, en pharmacie… « Cette technologie concerne tous les domaines de recherche en biologie ! »
Voici notre guide sur toutes les applications potentielles de CRISPR Cas9 :
1. Recherche fondamentale : expérimenter vite et pour pas cher
Les conséquences les plus importantes de CRISPR sont les moins flagrantes : les effets dans les laboratoires de recherche universitaires. CRISPR permet d’expérimenter plus facilement et donc concrètement d’accélérer la recherche fondamentale sur le cancer et l’autisme. Un indicateur clair : la croissance exponentielle des publications sur CRISPR au cours des dernières années.
2. Le génie génétique pour tous
CRISPR est accessible à tout un chacun, il vous suffit de commander les composants en ligne pour 60 $ et la puissance du génie génétique sera entre vos mains. La prochaine vague d’utilisateurs pourrait être celle des scientifiques DIY. Cette année, des inventeurs ont créés un kit « do-it-yourself génie génétique » accessible pour 700 $, soit moins que le prix de certains ordinateurs.
3. Remodeler les animaux
Le zoo des animaux génétiquement modifiés comprend déjà les mouches, les vers, les furets, et même des beagles, créés en Chine pour être plus musclés.
Un projet méritant l’attention est le Recombinetics. Le but : concevoir des vaches laitières afin qu’elles ne disposent pas de cornes. Les deux premières vaches produites de cette façon ont posé pour leur première séance photo le mois dernier. A noter que l’écornage est pratiqué à 97% dans l’élevage pour éviter que les animaux ne se blessent entre eux, pratique systématique et douloureuse pour l’animal.
Demain vous pourriez acheter un chien bleu, vert, voir même fluorescent, des moutons fabriquant de la laine naturellement colorée… les possibilités sont illimitées.
4. Des Plantes +++
Nous sommes déjà « habitués » aux OGM tel que le maïs résistant aux désherbants ; qui sont d’ailleurs soumis à des tests de sécurité et d’homologation coûteux parce qu’ils contiennent des gènes de bactéries.
Mais grâce à CRISPR, les possibilités et la rapidité du changement vont exploser. Fruits plus gros, consommant moins d’engrais et d’eau, résistant à toutes sortes de virus ou champignons, comme le fléau du blé noir. Les professionnelles des OGM pensent que les premiers aliments génétiquement modifiées seront sur nos tables d’ici 5 ans.
5. Soigner l’incurable avec la thérapie génique
La capacité à modifier l’ADN va révolutionner la thérapie génique. Soigner des personnes souffrantes d’un problème génétique ( comme l’hémophilie ) serait un miracle pour eux puisqu’aucun véritable traitement définitif n’existe. Pour le moment aucun traitement génique n’a jamais atteint le marché aux États-Unis, mais CRISPR pourrait changer les choses en élargissant la trousse à outils des chercheurs. Les premiers essais sur l’Homme pourraient arriver d’ici deux ans, d’après les chercheurs. A moins qu’il n’ait déjà commencé…
6. Réécrire l’Humain
En Mars, l’université du MIT a été la première à débattre sur la modification des gènes humains. Les experts se sont réunis à Washington pour examiner si la société doit interdire l’utilisation de cette technologie sur les êtres humains, au moins pour l’instant. Nous parlons, bien évidemment d’un changement de l’ADN à but non médical, c’est-à-dire de modifier l’ADN de l’Homme pour l’améliorer et non le guérir. Plus fort, plus grand, plus intelligent… On parle bien d’eugénisme, mot tabou tant il est empreint du spectre de l’Allemagne nazie et de l’Übermensch. Vraiment tabou ? Peut-être pas tant que ça. 39% des chinois seraient prêts à ce que le QI de leurs enfants soit augmenté via la biotechnologie.
7. Modifier la nature, pour toujours
Le mois dernier, les biologistes de Californie ont créés des moustiques génétiquement modifiés qui, non seulement résistent à la malaria, mais font hériter ce trait à leur progéniture. Leur technologie, appelée « gene drive » permet de transmettre à coup sûr le gène modifié. Les chercheurs impliqués espèrent libérer ces moustiques pour mettre fin à la malaria, mais beaucoup de gens sont préoccupés par cette idée. Une fois effectués, ces changements sur les espèces pourraient être définitive. Ca ne vous rappelle pas Jurassic Park ?
L’Homme doit-il s’emparer de son destin et dorénavant contrôler son évolution biologique ? L’homme est-il assez sage pour mesurer tous les impacts liés à la modification de la nature (animaux, plantes…) ? Nos cultures, nos histoires, nos visions du monde ne convergent que très rarement. L’Homme arrivera-t-il à un consensus universel dicté par une éthique universelle autour du formidable pouvoir de CRISPR ? C’est peu probable. Pour que la bombe atomique fasse l’objet d’un consensus, il aura fallu Hiroshima et Nagasaki notamment.
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