Les technologies de l’information ont un impact économique extrêmement inégal sur le monde. Elles créent d’énormes richesses pour certains tout en en laissant d’autres derrière elles, car elles déplacent des emplois et ne profitent pas aux communautés qui ne disposent pas d’une connexion à large bande. Elles transforment aussi le visage de la guerre et de la paix, en créant un nouveau terrain sur lequel s’affronter au travers du cyberespace, et de nouvelles menaces envers la démocratie par des attaques et de la désinformation souvent chapeautées par l’État. Et cela accroît la polarisation des communautés nationales, érode la vie privée et crée une nouvelle capacité, pour les régimes autoritaires, d’exercer une surveillance sans précédent de leurs citoyens. Au fur et à mesure que l’intelligence artificielle (IA) progressera, les impacts seront de plus en plus élevés.
Le rythme des changements technologiques ne va pas ralentir. Mais ce n’est pas trop demander que nous fassions plus pour gérer ce changement. Contrairement aux périodes antérieures marquées par des inventions comme le chemin de fer, le téléphone, l’automobile et la télévision, l’ère de la technologie numérique a progressé pendant plusieurs décennies avec remarquablement peu de réglementation. Cette attitude non interventionniste doit céder la place à une approche plus politique.
Au cours des trois siècles qui se sont écoulés depuis l’aube de la révolution industrielle, aucune grande industrie n’a réussi à réglementer complètement tous les aspects de ses activités par elle-même. Il serait naïf de penser que nous y parvenions maintenant. C’est pourquoi nous avons aussi besoin que le gouvernement adopte une approche réfléchie mais active en matière de réglementation de la technologie. Le plus grand risque auquel sont confrontées les entreprises technologiques n’est pas la surréglementation, mais plutôt que le gouvernement n’en fasse pas assez, et pas assez rapidement, pour encadrer les risques technologiques qui pèsent sur le monde.
Pour de nombreuses et bonnes raisons, les entreprises de technologie se sont traditionnellement concentrées sur le développement d’un produit ou d’un service, puis sur la conquête du plus grand nombre possible d’utilisateurs aussi rapidement que possible. Souvent, peu de temps ou d’attention est consacré à d’autres questions. Comme Reid Hoffman l’a saisi avec précision dans son terme » blitzscaling « , une » voie rapide comme l’éclair » qui privilégie la vitesse par rapport à l’efficacité, cela constitue la meilleure approche pour développer une technologie de pointe sur le marché à l’échelle mondiale. Même lorsque les entreprises deviennent leader, elles ont toujours besoin d’agir rapidement.
Ces préoccupations sont importantes. Mais étant donné le rôle que joue actuellement la technologie dans le monde, il est tout aussi dangereux pour une entreprise de technologie d’aller plus vite que la vitesse de réflexion, ou simplement de ne pas penser du tout aux implications générales de ses services ou produits. Les entreprises peuvent encore réussir tout en faisant davantage pour assumer leurs responsabilités sociétales. Bien que nous ayons besoin d’agir rapidement, nous devons aussi créer des garde-fous sur notre technologie. Une capacité à anticiper les problèmes et à définir une approche fondée sur des principes pour les résoudre est plus susceptible de maintenir la voiture sur la route à mesure qu’elle gagne en vitesse. Elle permet d’éviter au moins certaines des controverses publiques et des atteintes potentielles à la réputation qui peuvent obliger les dirigeants à consacrer plus de temps à des questions autres que le développement de produits et la croissance des utilisateurs.
Ce besoin est particulièrement prononcé lorsqu’il s’agit de priorités telles que le renforcement de la cybersécurité et la lutte contre la désinformation. Cela nécessitera également un changement culturel. Trop souvent aujourd’hui, les grandes entreprises technologiques examinent un problème comme la cybersécurité et concluent qu’elles n’ont pas besoin de travailler étroitement avec le reste de l’industrie. Ou elles décident de ne pas collaborer à une initiative à moins d’être sûres de pouvoir la diriger. Ou elles n’y participent pas car cette initiative inclut une autre entreprise de technologie qui est actuellement sur la sellette politiquement, de peur d’être « infectée » en se tenant près d’une entreprise qui fait face à la critique publique. Bien que ces préoccupations soient compréhensibles dans une certaine mesure, les chefs de file de la technologie doivent y résister.
L’ensemble des questions technologiques touche pratiquement tous les aspects de nos économies, de nos sociétés et de nos vies personnelles. Dans toutes les démocraties, l’une des valeurs les plus estimées réside dans l’élection, par le public, des personnes qui font les lois qui gouvernent tout le monde. Les dirigeants techniques peuvent être choisis par des conseils d’administration choisis par les actionnaires, mais ils ne sont pas choisis par le public. Les pays démocratiques ne doivent pas céder le futur à des dirigeants que le public n’a pas élu.
La suite ici (Brad Smith&Carol Ann Browne)