L’idée que l’on puisse un jour créer la vie à partir de zéro remonte au moins au début des années 1910, lorsque le biophysicien français Stéphane-Armand Nicolas Leduc aurait été le premier à utiliser les mots « biologie synthétique ». Leduc aurait été inspiré par un collègue qui avait utilisé des matériaux inorganiques pour synthétiser l’urée, une molécule organique présente dans l’urine des mammifères. La biologie synthétique moderne est née il y a environ 15 ans d’une fusion d’idées et de techniques en ingénierie, en biologie moléculaire, en biotechnologie et dans d’autres domaines.
En 2016, des chercheurs de l’Institut J. Craig Venter ont annoncé avoir créé une toute nouvelle forme de vie : une bactérie composée de seulement 473 gènes. La cellule Syn 3.0 avait un génome plus petit que celui de toute forme de vie présente dans la nature. Sa genèse a été célébrée comme une réalisation marquante, annonçant les prémices d’une nouvelle ère dans laquelle les scientifiques utiliseraient le code génétique pour créer des formes de vie conceptuelles. Mais dans l’esprit des puristes de la vie artificielle, les chercheurs ne pourront revendiquer le succès que lorsqu’ils auront produit une cellule pleinement fonctionnelle à partir de molécules synthétisées chimiquement. Cette cellule devra se reproduire, maintenir son propre métabolisme et s’adapter à l’environnement. Enfin les scientifiques devront comprendre le rôle de tous les gènes de la cellule. Même si la recherche commence à apporter de nouvelles inventions dans le monde, personne ne s’entend sur l’objectif ultime du domaine, ce qui signifie qu’il n’y a pas de consensus sur la façon d’y parvenir.
Pour certains scientifiques, la véritable prouesse technologique réside dans la création d’une vie artificielle dont l’ADN aura été organisé par des chercheurs en de nouvelles combinaisons à grande échelle (ajout ou soustraction de centaines de gènes à la fois), plutôt qu’au travers de modifications monogéniques maintenant possibles grâce au génie génétique. Ces manipulations repousseront les limites de ce que la vie peut être, en créant de nouvelles formes et fonctionnalités. Pour d’autres, le but ultime est plus élémentaire : utiliser les outils de la biologie synthétique pour connaître les origines de la vie ou identifier les fondements de la vie à rechercher sur d’autres planètes. Cette définition de la vie artificielle exige que les scientifiques fabriquent toutes les pièces et les assemblent avec une compréhension beaucoup plus profonde du fonctionnement de chaque composant et de leur interaction.
Au lieu de clarifier ce qu’est la vie et comment la créer, la nouvelle ère de la bio-ingénierie a semé la confusion sur ce qui est considéré comme vivant et sur la différence entre réel et artificiel.
D’autres groupes s’essaient directement à construire la vie à partir de zéro. Un effort de collaboration open-source appelé Build-A-Cell vise à construire une cellule entièrement nouvelle capable de se reproduire, que les scientifiques peuvent comprendre au point d’expliquer exactement ce que chaque gène fait. Parallèlement, George Church, généticien à Harvard et au Massachusetts Institute of Technology, a co-fondé Genome Project-Write (GP-Write), une collaboration internationale pour synthétiser de grands génomes, y compris ceux des plantes et des humains. Ils pensent que l’introduction de nouveaux génomes dans les cellules et organismes existants révolutionnera la médecine et l’agriculture en créant des lignées cellulaires immunisées contre le cancer et les virus, ou des cultures résistantes aux parasites.