L. Bardon . – Médecine personnalisée, médecine prédictive, séquençage génomique, données de santé, systèmes d’IA, jumeau numérique… Autant de termes que je lis fréquemment depuis quelques années. Si covid19 montre quelque chose, c’est l’habituel constat : on surestime le progrès technologique à moyen terme alors qu’on le sous-estime à très long terme. Dit autrement, la précision de nos prédictions à très long terme est très mauvaise. Nous sommes aussi doués à ce jeu qu’un chimpanzé qui essaierait de lancer une flêchette ai-je lu récemment. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain pour autant. Des startups prometteuses comme iCarbonX veulent capturer les données biologiques à une échelle inédite : séquence ADN, nombre de pas, fréquence cardiaque, habitudes de sommeil, analyse sanguines, suivi constant des niveaux de métabolites à mesure que le corps traite les aliments, tests sanguins, niveaux de cholestérol et glucose, données cardiaques… L’objectif étant de proposer des ajustements individuels dans notre quotidien pour améliorer notre santé.
Depuis sa naissance il y a 30 ans, les partisans du Projet du génome humain ont promis que la recherche en génétique apporterait des avantages incalculables pour la santé de chacun d’entre nous. Covid19 offre une occasion d’examiner les promesses et de les ajuster ainsi que les investissements dans la génétique.
Pendant la crise sanitaire, les outils de recherche basés sur la génétique ont permis de suivre la propagation du virus et de tester la présence du virus chez les individus, et ils pourraient contribuer à la création d’un vaccin qui protégera la santé de chacun d’entre nous. Au milieu de cette crise, il est toutefois impossible d’ignorer l’impact disproportionné que le virus a sur la santé de certains d’entre nous. Oui, il est probable que certains individus sont génétiquement prédisposés à être moins ou plus sensibles au virus. Mais aucun généticien ne suggère que les différences génétiques sont un élément important expliquant pourquoi le virus a un impact différent sur différents groupes sociaux. C’est plutôt une lapalissade que ces impacts différents sont dus aux conditions sociales différentes auxquelles les différents groupes sont exposés.
Récemment, le généticien Francis Collins, qui a autrefois dirigé le projet du génome humain et qui dirige aujourd’hui les 27 instituts nationaux de la santé (NIH), a déclaré au Wall Street Journal, avec une franchise admirable : « L’architecture génétique des maladies courantes s’avère plus élaborée que nous ne l’aurions imaginé ». En effet, en raison de la fabuleuse complexité des voies de transmission des gènes aux types de maladies communes (comme le diabète) qui rendent les gens plus vulnérables à un virus comme covid19, la génétique n’a pas encore été en mesure d’offrir le genre de bienfaits pour la santé que les généticiens envisageaient il y a 30 ans.
En 2016, année où le NIH a lancé une nouvelle initiative majeure de recherche axée sur la génétique, il a consacré plus de la moitié de son budget de 26 milliards de dollars dans un nouveau programme majeur, appelé All of Us- visant à adapter les soins médicaux aux génomes des individus. Pour atteindre cet objectif, le NIH cherche à faire participer un million de personnes à ce programme.
Le Projet du Génome Humain a produit des bénéfices vraiment importants pour la santé de certains individus, la plupart d’entre eux étant liés au dépistage et au traitement des cancers héréditaires. Et, là encore, les outils de la recherche génétique peuvent être essentiels pour mettre fin à la crise actuelle des soins de santé. Mais ces outils ne réduiront pas, et encore moins n’élimineront pas, les disparités en matière de santé produites par les conditions sociales qui se rappellent à nous dans la crise actuelle.