Comme 2% d’enfants dans le monde, Timothy Doran, une petite fille de 11 ans, est allergique aux œufs. Saviez-vous que de nombreux vaccins « standards » sont fabriqués à partir d’œufs de poule ? Doran, un biologiste moléculaire australien de la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation envisage donc d’utiliser CRISPR-Cas9 pour résoudre ce problème. La plupart des allergies aux œufs sont causées par 1 protéine contenue dans le blanc d’œuf. Lorsque Doran et ses collègues ont altéré le gène incriminé, la protéine en résultant n’a plus déclenché de réaction allergique. Doran voudrait donc utiliser CRISPR pour rendre les œufs de poule hypoallergéniques.
La poule n’est qu’un animal parmi toute une ménagerie, une véritable arche de Noé, faisant l’objet d’expérimentations de réingénierie du génome animal. Les autorités de régulation travaillent donc sur les règles éthiques qui encadreraient de telles manipulations ; aussi bien sur les animaux destinés à la consommation que ceux qui seraient relâchés dans la nature. Les impacts sur l’écologie et la sécurité notamment préoccupent beaucoup de monde. Le directeur américain du renseignement par exemple s’inquiète de l’accès facile à une technologie low cost permettant de rapidement modifier le génome. Les implications sociétales sont si vertigineuses qu’il est temps de mettre ce sujet sur la place publique pour en débattre.
Mieux résister aux maladies
L’agriculture s’intéresse particulièrement à CRISPR dans sa capacité à améliorer la résistance aux maladies. L’entrepreneur en biotechnologie, Brian Gillis, espère que la technologie aide à endiguer la disparition dramatique des abeilles dans le monde, causée par les maladies et les parasites. Au Roslin Institute, le groupe de Whitelaw est l’un de ceux travaillant sur l’édition des gènes de cochons via CRISPR et d’autres techniques pour les rendre résistants à certains virus. Cela ferait économiser chaque année des centaines de millions de dollars à l’agriculture.
Concevoir des nouveaux traitements
Pour modifier les allergènes contenus dans les œufs de poule, il faut du « doigté ». Il faut ajuster la séquence génétique incriminée pour l’empêcher de déclencher une réaction immunitaire tout en ne l’empêchant pas de jouer son rôle dans le développement de l’embryon. CRISPR permet pour la première fois d’atteindre un tel niveau de précision.
Mais son utilisation sur les oiseaux reste problématique. Chez les mammifères on peut déclencher la production d’œufs supplémentaires qui sont prélevés, modifiés, fertilisés et « replacés ». Mais chez les oiseaux l’ovule fécondé se lie étroitement au jaune et le retirer reviendrait à détruire l’embryon. Pour contourner cette difficulté Tizard et Doran envisagent d’utiliser des cellules immatures qui se transformeraient ensuite en spermatozoïde ou ovule.
Les chercheurs prévoient aussi de créer des poulets dont le génome intégrerait directement des composants nécessaires à l’utilisation de CRISPR : les poulets CRISPi. Ces derniers permettraient l’émergence de nouveaux médicaments. Les autorités de régulation sont d’ailleurs plutôt enjointes à autoriser de tels médicaments. En 2006 l’Union Européenne avait approuvé la création d’une chèvre dont le lait contient une protéine anticoagulante. La FDA l’a aussi approuvée en 2009. Puis en 2015 les 2 organismes ont donné leur autorisation pour que soit conçu un poulet transgénique dont les œufs contiennent un médicament contre les maladies liées au choléstérol.
Ressusciter des espèces disparues
Bienvenue dans Jurassic Park! Si les mammouths ont disparu il y a 4,000 ans, George Church, a attiré l’attention en annonçant vouloir utiliser CRISPR pour transformer les éléphants d’Inde (espèce en danger) en mammouths laineux. Mais éditer, puis mettre bas et enfin élever des éléphants ressemblant à des mammouths reste encore très hypothétique. Church est aussi conscient du fait qu’il serait contraire à l’éthique d’implanter des embryons génétiquement modifiés dans une espèce d’éléphants en danger. Son laboratoire essaie donc de construire un utérus artificiel.
D’autres projets du même type sont moins ambitieux. Ben Novak de l’University of California veut ressusciter le pigeon voyageur, un oiseau autrefois largement répandu qui a disparu à la fin du 19e siècle.
Mieux contrôler la propagation des épidémies
Pendant des décennies des chercheurs ont travaillé autour d’un concept : modifier génétiquement les moustiques pour empêcher les maladies comme la malaria ou la dengue de se répandre. CRISPR pourrait permettre cela.
En Novembre, le biologiste moléculaire Anthony James, de l’University of California, a dévoilé une nouvelle lignée de moustiques capable de transmettre un gène de résistance à la malaria. La technique mise au point garantit que la progéniture de ces heureux parents hérite de 2 copies du gène modifié pour que la résistance se répande encore plus vite.
Bien sûr beaucoup de scientifiques s’inquiètent des conséquences écologiques que pourraient provoquer de tels moustiques dans la nature. C’est pour cette raison que Church et ses collègues ont développé un système rétroactif qui supprimer les mutations induites par l’Homme parmi toute la population de moustique.
Optimiser la production agroalimentaire
En Novembre dernier, aux Etats-Unis, la FDA a approuvé premiers animaux transgéniques pour qu’ils soient consommés par les humains : des saumons créés par AquaBounty. Pourtant la crainte que les saumons génétiquement modifiés ne s’échappent et ne se reproduisent avec des saumons sauvages reste d’actualité. Pour y répondre, le généticien Rex Dunham, de la Auburn University en Alabama, a utilisé CRISPR pour désactiver les gènes liés à 3 hormones. Ces modifications rendent le poisson stérile. Peu importe que le saumon modifié ne s’échappe dès lors.
CRISPR pourrait aussi réduire l’abattage des animaux qui est à la fois coûteux et « barbare ». La biotechnologiste Alison Van Eenennaam, de l’University of California, utilise cette technique pour s’assurer que ne naissent que des bovins males. Les femelles produisent moins de viande et sont donc souvent abattues.
Enfin, le généticien moléculaire Scott Fahrenkrug utilise les techniques d’édition de gènes pour transférer aux races d’élite un gène supprimant les cornes.
« Améliorer » les animaux
En septembre dernier, BGI, une entreprise génétique, a impressionné lors d’une conférence à Shenzen en Chine en présentant des micro-cochons de la taille de teckels et ne pesant que 15 kilos. BGI utilise aussi CRISPR pour modifier la taille ou la couleur des carpes koi.
Claire Wade, un généticien de l’ University of Sydney, envisage d’utiliser CRISPR sur les chiens pour les « augmenter ». Elle travaille avec un groupe pour catalogue les différences génétiques entre les races et identifier les zones du génome liées au comportement et aux traits tel que l’agilité par exemple.
Si la bioéthicienne Jeantine Lunshof considère qu’utiliser CRISPR sur les animaux pourrait nuire à leur bien-être, elle concède que ça n’est finalement pas si différent de la façon dont nous pratiquons l’élevage animal depuis des siècles pour sélectionner des caractéristiques génétiques. CRISPR pourrait même supprimer la transmission de caractéristiques indésirables telles que des maladies de la hanche par exemple.
Des cobayes qui se rapprochent génétiquement de l’Homme
Les furets sont depuis longtemps utilisés comme cobaye dans la recherche autour de la grippe. Pourquoi ? Parce que le virus se réplique dans leurs voies respiratoires. Les éternuements ainsi déclenchés permettent aux chercheurs d’étudier la transmission du virus. Mais jusqu’à l’arrivée de CRISPR, les virologues manquaient d’outils pour facilement altérer les gènes des furets. Depuis, Wang et ses collègues de la Chinese Academy of Sciences de Beijing ont manipulé les gènes impliqués dans le développement du cerveau du furet. Et ils utilisent maintenant CRISPR pour modifier la vulnérabilité de l’animal au virus.
D’autres chercheurs sont particulièrement intéressés par la possibilité de manipuler le génome de nos « proches » cousins : les singes. Ces derniers sont génétiquement plus proches de l’Homme que ne peuvent l’être les rongeurs habituellement utilisés. Le neuroscientifique Zilong Qiu et ses collègues, de la Chinese Academy of Sciences de Shanghai, ont d’ailleurs récemment publié une étude. Ils ont utilisé utilisé CRISPR sur des singes pour engendrer la mutation d’un gène associé au développement de troubles neurologiques liés à la maladie de Rett.
Les sciences cognitives aussi pourrait tirer partie des possibilités offertes par CRISPR. Le neurobiologiste Ed Boyden par exemple élève une colonie du plus petit mammifère au monde, une race de musaraignes. Leur cerveau est si petit qu’il peut être entièrement observé au microscope. En modifiant le génome de ces dernières pour que l’activation d’un neurone produise un flash, les chercheurs peuvent observer en temps réel l’activité cérébrale.
L’arche CRISPR a déjà quitté le quai. Jusqu’où irons-nous ? Jusqu’où pouvons-nous aller ? Selon Pauwels les capacités offertes par CRISPR pourraient faire face à la même diabolisation publique que celle engendrée auprès des générations précédentes vis-à-vis de la modification génétique des plantes et des animaux. Pour éviter cela les scientifiques doivent impérativement communiquer sur les gigantesques opportunités qui nous sont offertes. Si les technologies comme CRISPR nous offrent des opportunités gigantesques, il manque un projet de société associé. Et ce particulièrement en France.